Témoignage
Six cobayes en pleine confiance
Le 28/07/2025 par Véronique MONIOTTE DARGENT
Du 11 au 13 juillet 2025, dans le cadre du camp d’été régional BFC, six apprentis alpinistes ont tutoyé les sommets depuis le refuge du Carro avec, en tête de cordée, six jeunes femmes. Témoignages croisés.
« Les jus de bissap, c’est pour qui ? Les cafés ? L’ipa ? » questionne le gardien du refuge du Carro. A peine le plateau posé, les consommations sont distribuées. Autour de la table rassembleuse, les jeunes femmes du Graf (1) et leurs « cobayes », encadrés par Florence Tonon, et Benjamin Soufflot, guide jurassien, lèvent leur verre pour saluer cette première journée. L’occasion aussi d’échanger sur les sensations et les joies de la session d’escalade sur rocher vécue ce vendredi 11 juillet après-midi.
Au-delà du matériel et des techniques, c’est un moment de partage où chaque cordée (une grafette et un cobaye) fait connaissance et apprend à se faire confiance. « Le bon fonctionnement du binôme repose donc sur une confiance mutuelle et une vigilance constante », résume Lionel, apprenti alpiniste de Vesoul. Dans une ambiance aussi chaleureuse que joyeuse, cette authentique solidarité, les cobayes l’ont vécue au quotidien.
Le lendemain, effectivement, durant l’ascension de la Grande Aiguille Rousse (3482 m), la corde qui unit le binôme renforce les liens. En tête, les grafettes s’adaptent aux capacités de leur cobaye. Entre des rires jaillissants spontanément, la cordée marche, grimpe d’un même pas et ne fait plus qu’un. Dans un couloir, assez raide, permettant le franchissement d’une barre rocheuse, les pas rythment le partage des souffles. Le terrain est un tantinet instable. Le pied doit être sûr et chaque cordée, concentrée, avance avec toute la prudence requise pour éviter de faire rouler dans la pente des pierres.
Au sortir de cette ravine, le groupe, piolet en main et crampons aux pieds, progresse sur un névé avant de rejoindre l’arête sommitale. Le panorama est à couper le souffle, déjà court. La Grande Aiguille Rousse offre une superbe vue sur les sommets de Tarentaise et de Maurienne. Malgré la fatigue et l’altitude, la sensation de « plénitude, d’apaisement et d’accomplissement » favorise un calme intérieur. Un ravissement que les cobayes associent à la fierté d’avoir atteint l’objectif et à l’immense joie de partager ce moment hors du temps, avec leur « guide » : Aurélie, Camille, Eurielle, Gladys, Lydie, Vanessa. Et avec Florence et Benjamin, la cordée assurant l’encadrement.
Au refuge, au cours du souper, les émotions vécues durant cette journée s’invitent à table. Nicolas revit comment, dans une pente de neige assez raide, un coup de crampon dans son pantalon l’a fait chuter. Il n’a même pas eu le temps d’avoir peur, car « aussitôt la corde s’est tendue, tandis que Lydie, pas peu fière, m’a retenu », raconte-t-il tout sourire. D’une voix assurée, Lionel évoque, en toute quiétude, ce moment où Gladys « ayant vu avant moi, lors de l'ascension du couloir, une pierre qui dévalait m'a incité à me mettre en sécurité. »
Une démarche participative
L’utilisation de la Cartographie Systémique des Vigilances (CSV) est également au menu. Bruno est ravi d’avoir découvert plus concrètement cet outil qui permet de coucher sur le papier l’itinéraire, ses points de vigilance et de décision : « Impliqué dans l’organisation, en tant que cobaye, je connais le parcours, l’horaire prévisionnel aux différents points clés de passage. Chacun de nous connaît les risques et nous pouvons ajuster notre comportement en conséquence. Nous savons à quoi nous attendre et pouvons adapter notre effort en conséquence ».
Et c’est ainsi, que pour graver dans les têtes la progression de la sortie de la dernière journée, le groupe, sous l’impulsion de Vanessa, se colle à la réalisation du schéma qui le conduira au col de l’Uja (3353 m), à son arête puis à l’Aiguille Percée.
Et les voilà, toutes et tous, le lendemain dimanche, au col de l’Uja puis au pied de l’arête constituée de gros et magnifiques blocs rocheux. Les cordées s’élancent les unes après les autres sur ce terrain escarpé, exposé au vide. Benjamin ouvre la voie, suivi de Véronique qui est assurée tout en douceur et rigueur par Eurielle. Ensemble, elles tutoient allègrement les aplombs rocheux. La progression n’est pas difficile mais relativement lente en raison de quelques embouteillages et de l’effet accordéon.
Chaque grafette est attentive à la sécurité de sa cordée et à l'évolution des autres binômes. Ainsi, livre Claudie, « dans un petit pas de désescalade pas facile, devant moi, Camille m’a guidée où poser le pied et Vanessa m’a assurée. Tout s’est bien passé. Je suis restée sereine et confiante ». A un anneau de cordes de là, c’est François qui se fait peur : « Sur une plateforme quelque peu instable où nous étions en train de patienter, j’ai senti mon pied gauche ripper sur le rocher et mon corps partir en déséquilibre arrière. Aurélie m’a tout de suite sécurisé. »
Prenant grand plaisir à jouer à « saute-rochers », les cordées se chahutent un peu, rigolent et le temps file. Bientôt la barrière horaire posée la veille en CSV ramène à une dure réalité : il est prudent de redescendre sans passer par l’ascension de l’Aiguille percée.
Au refuge, autour d’un dernier verre, le contentement se lit dans tous les yeux. L’enthousiasme rafraîchissant des grafettes, leur jovialité affable, leur complicité, leur générosité, leur esprit solidaire, leur humilité, ont contribué à la cohésion du groupe. Vivre cette aventure humaine, est extra-ordinaire et renforce la passion des cobayes pour la montagne
« Merci à elles, à Florence et à Benjamin, pour cette occasion qui nous a permis de progresser dans une discipline exigeante », conclut Lionel.
Les cobayes : Bruno (Caf Besançon), Claudie (Caf Montbéliard), François (Caf Besançon), Lionel (Caf Vesoul), Nicolas (Caf Dijon), Véronique (Caf Besançon)
(1) Le Groupe Régional d'Alpinisme Féminin s'inscrit dans le cadre des actions stratégiques mises en place par la FFCAM en matière de féminisation de la pratique et de l'encadrement des activités de montagne.
L'objectif principal est de regrouper des filles motivées et compétentes pour créer une dynamique de groupe, et ainsi engendrer des projets singuliers qui valorisent l'image de la femme dans la pratique de l'alpinisme (expérience, performance, prise d'initiative, etc.).
Sous la responsabilité de Florence Tonon, initiatrice alpinisme au Caf de Besançon et Benjamin Soufflot, guide de haute montagne, les jeunes femmes retenues se forment durant deux années. Chaque été, elles emmènent, chacune sur leur corde, une personne souhaitant participer à leur formation en tant que « cobaye ».